Editorial

 

Les recherches de Dag Herbjørnsrud s’inscrivent dans le domaine de l’histoire des idées dans le monde, qu’il illustre ici en évoquanrt la redécouverte des philosophie nahua et maya. L’auteur applique la méthode comparée pour explorer leur complexité de leur pensée et repérer leurs affinités avec le discours des penseurs européens et d’autres traditions culturelles.

Christian Tremblay montre que, au rebours du mythe de Babel et de son prolongement dans la tendance dominante au monolinguisme, l’évolution des sciences et de la philosophie au cours des derniers siècles illustre la diversité des mondes humains. L’idée d’une représentation homogène du monde par la langue normalisée est contredite par la multiplicité des interprétations liée à la créativité des acteurs, que nourrissent la diversité linguistique et culturelle et la démocratie qui la garantit.

Ted Nordhaus discute la thèse de la limite des ressources planétaires, dans la mesure où celles-ci sont considérées comme fixes et finies. Cette évaluation lui semble contraire à l’histoire car, dit-il, elle ignore le fait que la croissance économique des pays développés a réduit leur utilisation et la consommation d’énergie, lesquelles ont buté sur la saturation de la demande en biens matériels et en services. Ce point de vue « optimiste » se fonde sur le fait que les hommes ont reconstruit la planète à plusieurs reprises pour satisfaire leurs besoins et ont la capacité d’éviter l’effondrement des sociétés.

Yves Beigbeder rappelle la création du CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), un organisme semi-autonome de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), qui a récemment fait la une de l’actualité en Europe après avoir classé le glyphosate comme « probablement cancérigène pour l’homme ». Il rappelle ensuite certaines des attaques contre le CIRC et la réponse de quelques-uns de ses défenseurs, soulignant que les décisions de certains tribunaux américains ont confirmé les conclusions du CIRC.

Nicole Morgan parcourt quelques uns des épisodes marqués par les traits obssessionnels de la présidence étatsunienne, en révélant par ailleurs ses soubessements idéologiques inspirés de la philosophie radicale d’Ayn Rand, qui nie la responsabilité de l’État dans la gestion de la société et renvoie ses maux sur celle de l’individu, selon une interprétation déviée de la philosophie de Thomas Hobbes. La figure de l’enfant joue ici un rôle particulier, sinon dramatique.

A la suite du Forum social mondial (FSM),Thomas Ponniah revient sur le fait que tous les participants ont lancé des appels à une démocratie participative et radicale, arguant que ce sont là les premières étapes de la construction d’une nouvelle civilisation mondiale. Au-delà de la résistance à la mondialisation, de la lutte contre l’impérialisme et de toutes les formes de discrimination hiérarchisée, le « mouvement de la multitude » est appelé à les englober dans un mouvement alternatif qui s’étendrait sur tous les domaines essentiels – économique, politique, culturel et écologique.

Haider A. Khan offre deux articles. Dans le premier, il présente une nouvelle traduction du Petit Prince de Saint-Exupéry, en deux langues, justifiée par la nécessité de porter un message particulier pour ceux qui vivent dans le monde postcolonial. La première traduction est en anglais (dont un extrait paraîtra dans le prochain numéro de Cosmopolis, 2020), mais comme la  » langue du colonisateur  » comporte une certaine ambiguïté pour un Sud-Asiatique, l’auteur la complète par une seconde traduction en bengali, langue parlée par plus de 200 millions de personnes au Bangladesh et en Inde.

Dans le second article, Haider A. Khan passe en revue deux ouvrages sur la crise mondiale de l’ère cybernétique et souligne ses multiples consequences, du réchauffement du climat à la militarisation, en passant par les systèmes d’armes autonomes. Il analyse les nombreuses contradictions socio-économiques et politiques qui se reflètent dans les nombreuses crises mondiales et locales en cours, lesquelles engendrent un malaise semi-permanent dans toutes nos sociétés, tout en appellant à de nouvelles voies vers la paix mondiale.

 

Autres contributions :

Pierre Calame repère les contradictions qui émaillent le discours sur la gouvernance mondiale et la transition énergétique, alors que les liens entre croissance économique et énergie fossile ne se relâchent aucunement depuis trente ans, du Sommet de la terre à l’accord de Paris.

Le dernier essai de Betty Rojtman, Une faim d’abîme, s’inscrit en figures littéraires dans la tragédie contemporaine, tout en référant au génocide des juifs au XXe siècle. La perspective de la mort conjoint toutefois dans une vision d’espoir les conceptions issues de la tradition biblique comme des philosophies occidentales, pour entrevoir un avenir ouvert sur un monde mobile, en évolution constante, qui s’éloigne des images figées vers un destin incertain.

On lira ensuite la lettre adressée par le Club de Rome à la présidente de la Commission de l’Union européenne Ursula von der Leyen, qui salue sa grande prévoyance en proposant un Pacte vert européen (PVE) attaché aux objectifs de neutralité climatique et aux objectifs sociaux de l’Union.

Yves Beigbeder livre ses souvenirs d’assistant du juge français au procès des crimes de guerre de Nuremberg, Henri Donnedieu de Vabres en 1946, alors qu’il avait 22 ans. *il s’agissait de résumer les procès verbaux prononcés quotidiennement en quatre langues, relatifs à sept accusés dont Hans Frank, gouverneur général de Pologne, le « Boucher de Pologne », et Baet ldur von Schirach, le chef de la jeunesse nazie.

Dans un second article, Thomas Ponniah livre quelques réflexions sur les écrits de Samuel Huntington et sa contestation de l’idée d’une « fin de l’histoire », à laquelle il préférait la thèse du darwinisme social qui voyait l’histoire comme compétition entre sept civilisations différentes, et sur la thèse de l’historien Yuval Noah Harari, qui pense au contraire qu’une civilisation mondiale se forme, où les désaccords se plient aux convergences, appuyées par la méthode scientifique.

P.G.

A propos de l'auteur :

Docteur en philosophie, linguiste et internationaliste, professeur émérite à l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes, Université libre de Bruxelles, a enseigné en Algérie, au Gabon, au Mexique, en Iran et en Belgique. Ancien rédacteur d’Associations transnationales de l’Union des associations internationales (UAI), il a créé la revue de cosmopolitique Cosmopolis en 2007 et publié de nombreuses études à l’intersection de la philosophie, des sciences du langage et des sciences politiques. Il dirige la banque de données terminologiques et notionnaires portant sur divers sous-domaines des relations internationales hébergée par l’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP).