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Introduction
La décolonisation doit être mondiale
Dag Herbjørnsrud
Dag Herbjørnsrud a dirigé ce numéro spécial de Cosmopolis consacré à « La décolonisation du monde académique ». Historien des idées, il a notamment publié « Beyond decolonizing: global intellectual history and reconstruction of a comparative method », in Global Intellectual History, 2019), des articles sur la philosophie de la Mésoamérique (Nahua/Maya), de Kemet (Égypte) et de l’Inde (athéisme, Carvaka/Lokayata) pour l’American Philosophical Association (APA). Il est également le fondateur du Senter for global og komparativ idéhistorie/Center for Global and Comparative History of Ideas (SGOKI).
Les articles de ce numéro de Cosmopolis ont été écrits par des universitaires et des écrivains des quatre continents – Asie, Afrique, Europe et ‘Île de la Tortue (nom de la terre également connue sous le nom d’« Amérique » utilisé par les Haudenosaunee (Iroquois, le peuple de la maison longue).
Nous tenons à remercier Julia Masnik, de l’agence Watkins/Loomis, qui nous a permis de reproduire le texte de Ngũgĩ de 1986. Nous remercions par ailleurs Barbara Caldwell, rédactrice en chef et assistante de Ngũgĩ, qui nous a permis de publier son nouveau texte, rédigé en décembre 2020. Enfin, je tiens à remercier Paul Ghils, le rédacteur en chef de Cosmopolis, de m’avoir confié la direction de ce numéro spécial.
Nous avons le grand honneur, à l’occasion de la publication de ce numéro spécial de Cosmopolis consacré à « la décolonisation du monde académique », de présenter un texte nouveau et original de l’honorable professeur et candidat de longue date au prix Nobel de littérature, Ngũgĩ wa Thiong’o, né en 1938. Ce texte exclusif, « Decolonization must be Global », nous a été remis par l’éditeur de Ngũgĩ le 8 décembre 2020 et est reproduit ci-dessous. Cette nouvelle déclaration de Ngũgĩ peut être lue dans le contexte des extraits tirés de l’introduction de Decolonising the Mind. The Politics of Language in African Literature (1986), une œuvre discutée et mentionnée dans plusieurs des textes de ce numéro. Ngũgĩ déclarait en substance, en décembre 2020, sous le titre « Decolonization must be Global » :
« Je me félicite de la publication de ce numéro sur la décolonisation du monde universitaire. La colonisation, avec toutes ses dimensions économiques, politiques, culturelles et même psychiques, est au cœur de la construction du monde moderne. Ce sont les nouvelles colonies occidentales qui ont alimenté la traite des esclaves de l’Atlantique, l’esclavage et le racisme, et tout cela a nourri la cupidité du capitalisme. Les plus grandes villes d’Europe ont été construites par le colonialisme et l’esclavage. Trois des grandes puissances nucléaires actuelles ont également joué un rôle majeur dans l’esclavage et la colonisation.
Le colonialisme réunit plusieurs facteurs : La conquête militaire, l’ingénierie sociale et la production de connaissances. Beaucoup de colonisés ont été autrefois torturés dans des laboratoires universitaires pour tester de nouveaux médicaments. Les idées et les images faisaient partie de la défense idéologique des entreprises coloniales. Partout en Occident, on trouve encore des monuments et d’autres représentations à la gloire de ceux qui ont asservi et colonisé. En effet, nombre d’universités parmi les plus réputées de l’Occident ont été construites avec l’argent du colonialisme et de l’esclavage ou en ont bénéficié.
La colonisation est colonisatrice et colonisée. Ainsi, la décolonisation aux niveaux économique, politique, culturel et psychologique doit impliquer à la fois le colonisateur et le colonisé. Les centres intellectuels occidentaux ne peuvent rester à l’écart. Lorsque j’ai publié mon livre Decolonizing the Mind en 1986, je n’aurais jamais imaginé que tant de gens s’intéresseraient à cette question.
Et je suis heureux que les débats sur la décolonisation se poursuivent. Je me réjouis de cet engouement. La décolonisation doit être mondiale. Les conséquences du colonialisme, en particulier la colonisation de l’esprit, doivent être éradiquées au niveau mondial. »
Il y a tellement à dire et à dévoiler lorsqu’on en vient à ces mots de Ngũgĩ fin 2020, j’espère que d’autres se joindront à notre geste dans les années à venir. Au moins pouvons-nous affirmer que son insistance sur l’idée que « la décolonisation doit être mondiale » nous inspire. Ceci nous rappelle son livre canonique, publié il y a environ 35 ans, et la conclusion de son introduction générale, « Vers le langage universel de la lutte » :
« Le thème de ce livre est simple. Il est tiré d’un poème du poète guyanais Martin Carter dans lequel il voit des hommes et des femmes ordinaires qui ont faim et vivent dans des pièces sans lumière ; tous ces hommes et ces femmes d’Afrique du Sud, de Namibie, du Kenya, du Zaïre, de Côte d’Ivoire, du Salvador, du Chili, des Philippines, de Corée du Sud, d’Indonésie, de Grenade, ces « damnée de la terre » de Fanon, , qui ont déclaré haut et fort qu’ils ne dorment pas pour rêver, « mais rêvent pour changer le monde ». J’espère que certains des thèmes abordés dans ce livre trouveront un écho dans vos cœurs ».
De toute évidence, les paroles de Ngũgĩ et les questions qu’il a soulevées ont trouvé un écho dans les cœurs du monde entier. En Nouvelle-Zélande, la spécialiste maorie Linda Tuhiwai Smith a publié un livre révolutionnaire intitulé Decolonizing Methodologies: Decolonizing Methodologies : Research and Indigenous Peoples (1999). Car la justice n’englobe pas seulement la lutte pour l’égalité des droits dans les domaines économique et politique. Elle vise aussi un monde plus juste aux « niveaux culturel et psychique », comme le souligne Ngũgĩ. Elle comprend également la structure du savoir – dans les universités et leurs épistémologies. D’où ce numéro sur « La décolonisation du monde académique ».Les récits eurocentriques et coloniaux ne disparaîtront pas d’eux-mêmes – certainement pas au sein des sciences humaines et sociales, ou dans les structures de l’intelligence artificielle – sans que s’opère une prise de conscience des systèmes de connaissance qui ont été détruits ou supprimés depuis le début du 16ème siècle. Cette exploitation d’autres systèmes de connaissance est un processus que le sociologue Boaventura de Sousa Santos a qualifié d’« épistémicide », conduisant à une « injustice cognitive ». Après tout, pendant 500 ans, ledit « monde moderne » a été construit sur ce que le regretté sociologue Aníbal Quijano (Pérou) appelait une « colonisation du pouvoir » basée sur les trois systèmes – hiérarchique, cognitif et culturel.« Le subalterne peut-il parler ? », demandait la professeure Gayatri Chakravorty Spivak dans son fameux essai de 1988. Lorsqu’il s’agit d’institutions universitaires influencées par la logique et les récits coloniaux, la réponse semble encore être souvent « non ». Les subalternes, les indigènes et les damnés de la terre ne sont pas concernés ou autorisés à parler en leur propre nom, que ce soit en tant que personnes agissantes ou en tant que représentants du savoir. Et ils ne sont pas les seuls : selon la vision du monde de Kant, seuls les Européens, pratiquement seuls les hommes blancs pouvaient penser. Hegel, quant à lui, dénigrait l’Afrique et les Africains, faisant des seuls Européens un point d’aboutissement de son Histoire universelle. Mais l’histoire des Noirs compte – tout autant que les vies des Noirs comptent. Ce lien a également été souligné il y a plus d’un quart de millénaire par le combattant de la liberté intellectuelle Toussaint Louverture (1743-1803), chef de file de la révolution haïtienne couronnée de succès. Dans sa lettre de juillet 1792 aux colonisateurs français, soutenant qu’il était contre le « droit naturel » des Blancs d’asservir les Noirs dans les plantations de sucre, Louverture déclarait « Oui, Messieurs, nous sommes libres comme vous, et ce n’est que par votre avarice et notre ignorance que quiconque est encore tenu en esclavage à ce jour ». De là : « Pendant trop longtemps, nous avons porté vos chaînes sans penser à nous en libérer (…) » Selon lui, une révolution physique ne pouvait avoir lieu sans une libération intellectuelle. Ainsi, Louverture conclut sa première proclamation publique le 29 août 1793, comme suit : « L’égalité ne peut exister sans la liberté. Et pour que la liberté existe, nous devons avoir l’unité ».Louverture peut être considéré comme une voix subalterne, parmi tant d’autres. Il y en a tant d’autres. C’est une perte pour nous tous que, par exemple, les grands textes littéraires, juridiques et philosophiques de l’ancienne Kemet (Égypte), écrits en cursive hiératique sur papyrus 2 000 à 1 000 ans avant l’ère commune, ne soient plus aussi connus que les textes grecs ultérieurs. Et la liste continue. Les systèmes de connaissances et les textes d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et des Amériques – ainsi que l’histoire multiculturelle et complexe de l’Europe – sont les « figures cachées » du monde universitaire, en attente d’être découvertes et réintégrées dans le canon intellectuel du savoir mondial. Après tout, c’est une conception que les voix non européennes entretenaient souvent avant le « racisme éclairé » du XVIIIe siècle. La décolonisation des savoirs, cette lutte intellectuelle contre la colonisation épistémologique, prendra du temps. Et elle est ardue. Comme l’a déclaré la lauréate du prix Nobel Toni Morrison dans son discours de 1975 à l’université d’État de Portland, « Il est donc important de savoir qui est le véritable ennemi, et de connaître la fonction, la très grave fonction du racisme, qui est la distraction. Cela vous empêche de poursuivre vos objectifs. Il vous empêche d’exposer, encore et encore, votre raison d’être. Quelqu’un dit que vous êtes dépourvu de langage et vous passez donc 20 ans à prouver que vous en avez un. Quelqu’un dit que votre cerveau n’est pas bien constitué, et il se trouve des scientifiques pour établir qu’il l’est. Quelqu’un dit que vous ignorez l’art, et vous creusez la question. Quelqu’un dit que vous n’avez pas de royaumes, et vous creusez la question. Rien de tout cela n’est nécessaire. Il restera toujours quelque chose ».Ce sont peut-être là certains des objectifs de la décolonisation du monde intellectuel : mettre fin à la distraction. Guérir l’épistémicide, reconstruire les systèmes de connaissance. Promouvoir des récits plus équilibrés, du passé et du présent. S’assurer qu’il n’y a plus « une seule chose » qui nous empêche de faire notre travail. Dans ce cas, la décolonisation doit être globale.La récente vague de décolonisation, outre celle que provoqua initialement l’utilisateur de la langue kikuyu Ngũgĩ du centre du Kenya, est également venue d’Afrique : le 9 mars 2015, un étudiant solitaire de l’université du Cap en Afrique du Sud a affronté la statue glorifiant le colonisateur Cecil Rhodes sur le campus et a lancé la campagne #RhodesMustFall.
Après un mois de protestations étudiantes, l’administration de l’université du Cap a cédé aux exigences étudiantes : la statue de Cecil Rhodes, l’un des « architectes de l’apartheid », a été retirée du campus. En 2021, l’université d’Oxford pourra décider s’il faut aussi cesser d’honorer Rhodes – ou si l’université continuera à ériger « des monuments et autres images à la gloire de ceux qui ont asservi et colonisé ». Parce que les symboles sont importants.
En novembre 2020, Dan Hicks, professeur d’archéologie contemporaine à l’université d’Oxford, a publié The British Museum : The Benin Bronzes, Colonial Violence and Cultural Restitution, qui plaide en faveur du retour urgent des œuvres d’art coloniales pillées dans les musées britanniques et européens. Ou, comme le dit Hicks dans le premier chapitre :
« Le point de départ de ce livre est l’idée que, tant qu’ils continueront à exposer les objets sacrés et royaux pillés lors des massacres coloniaux, leur fonction sera contre-productive – ce seront des centaines de monuments faisant la propagande violente de la supériorité occidentale sur les civilisations africaines, érigés au nom de la « science des races », jonchant l’Europe et l’Amérique du Nord comme des monuments aux morts en vue de gagner plutôt que de perdre, considérant que les modes de construction de l’hémisphère Sud sont arriérés, complices d’une prolongation de la violence extrême et de la destruction culturelle, témoins d’atrocités, d’actes iconoclastes et de dégradation continue à grande échelle, héritages de l’époque où l’idéologie de l’évolution culturelle, qui était une idéologie de la suprématie blanche, utilisait le musée comme outil de production de l’altérité : des outils toujours en activité, cachés à la vue de tous. C’est pourquoi ce livre traite de la souveraineté et de la violence, de la façon dont les musées ont été cooptés dans le projet naissant de proto-fascisme par le pillage de la souveraineté africaine, et de la façon dont les musées peuvent résister à cet héritage raciste aujourd’hui ».
Tel est l’héritage colonial, au cœur de « l’Empire britannique ». Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dit globalisé, mais qui semble parfois constitué de mondes distincts lorsqu’il s’agit de comprendre comment ce monde est né. Ou, comme l’a déclaré le tristement célèbre Samuel P. Huntington, dans un moment de remarquable franchise : « L’Occident a gagné le monde non pas par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion […] mais plutôt par sa supériorité dans l’application de la violence organisée. Les Occidentaux oublient souvent ce fait ; les non-Occidentaux ne l’oublient jamais ».
Si la dernière phrase n’est pas vraie au sens strict, la citation nous ramène également à la question suivante : Que faire du monde académique colonisé d’aujourd’hui ? Une source d’inspiration pourrait être le discours « Ain’t I a Woman » prononcé par l’abolitionniste afro-américaine Sojourner Truth (1797-1883) lors de la Convention des femmes dans l’Ohio le 29 mai 1851. Elle exigea d’être admise dans le mouvement féministe en tant que femme noire, propageant une idée précoce de ce que, près d’un siècle et demi plus tard, Kimberle Crenshaw appelat « l’intersectionnalité » : « Vous ne devez pas avoir peur de nous donner nos droits de peur que nous en prenions trop, car nous ne pouvons pas prendre plus que ce que notre verre peut contenir ».
On pourrait dire que la décolonisation consiste en cela : rendre leurs droits aux gens ne pose aucun danger. La connaissance est un bien commun. De même, dans son essai Les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître (1982), l’écrivaine Audre Lorde (1934-1992) critiquait un « féminisme raciste » blanc qui excluait les femmes noires de la classe ouvrière et les intellectuelles lesbiennes de couleur. Elle écrivait :
« (…) la survie n’est pas une compétence académique. C’est apprendre à se débrouiller seul, à être impopulaire et parfois injurié, et à faire cause commune avec ceux qui sont identifiés comme étant en dehors du système afin de définir et de rechercher un monde dans lequel nous puissions tous nous épanouir. C’est apprendre à assumer nos différences et à en faire des atouts. Car les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître. Ils peuvent nous permettre de le battre temporairement à son propre jeu, mais ils ne nous permettront jamais d’apporter un véritable changement ».
Comment, dans ce cas, peut-on apporter un véritable changement ? En faisant cause commune avec ceux qui sont identifiés comme étant hors institutions – afin que tous puissent s’épanouir ? Il conviendrait d’abandonner les idéologies d’exclusion, patriarcales et suprémacistes. La véritable évolution, selon les termes de Lorde, implique de cesser de définir la maison du maître, par exemple les secteurs coloniaux du monde académique, comme étant « la seule source de soutien ». Il est essentiel de s’efforcer d’acquérir des connaissances, et non le pouvoir. La vérité, et non le prestige. Ou encore, comme l’écrit Ngũgĩ dans le texte ci-dessus en décembre 2020 : « Les conséquences du colonialisme, en particulier la colonisation de l’esprit, doivent être éradiquées dans le monde entier. »La colonisation de l’esprit, celle qui l’emprisonne, est plus difficile à rejeter que la colonisation d’un État. Parce que la colonisation de l’esprit est ce que l’on ne peut pas voir, entendre ou toucher. Mais tout changement véritable et durable doit commencer dans l’esprit. On ne peut pas, selon les termes de Louverture, se libérer de ses chaînes « sans penser les secouer ». L’asservissement par les récits coloniaux de l’enseignement rend nécessaire « l’émancipation de l’esclavage mental », comme l’a soutenu Christopher Stuart Taylor. Pourtant, une telle éradication ne semble pas réalisable. C’est précisément la raison pour laquelle nous devrions nous y mettre. Les textes de ce numéro de Cosmopolis analysent et explicitent des questions telles que mentionnées ci-dessus :Dans son article « What Does it Mean, Decolonize Philosophy ? Using Examples from Hume Scholarship », Peter Park présente des exemples de techniques de décolonisation reprises aux philosophes critiques de la notion de race, notamment les contre-récits, les perspectives subalternes et la transgression des canons. Park examine l’approche décolonisatrice du philosophe d’origine nigériane Emmanuel Chukwudi Eze (1963-2007), en montrant la cohérence entre le racisme de David Hume et sa théorie de la nature humaine, en particulier sa théorie de l’esprit.Dans « Decolonization as ‘golden repair’ (kintsugi) : powdered gold strengthening the academy », Minna Salami affirme que la décolonisation de l’esprit rappelle le kintsugi japonais, « golden repair » : l’art de réparer un objet de verre brisé avec de l’or en poudre. Décoloniser signifie utiliser l’or en poudre non seulement pour guérir l’esprit, mais aussi pour transformer un traumatisme en force mentale. Elle soutient également qu’il faut revenir explicitement aux thèmes de la propagande et du lavage de cerveau, ainsi que de la « violence épistémique ». Les mots comptent.
Anh-Susann Phi Tam nous ouvre une autre perspective. Dans « Beyond decolonising the academy : anti-capitalist politics and the coloniality of labor », elle problématise l’accent excessif mis sur l’épistémologie et la représentation, susceptibles de minimiser la domination raciale globale du travail par le capitalisme, qui fonde les structures de la colonisation. Les travaux de Tam s’inspirent de recherches originales sur les mouvements « Rhodes Must Fall » et « Fees Must Fall » en Afrique du Sud et d’observations portant sur les campagnes « Decolonise the curriculum » dans l’enseignement supérieur britannique.
Dans « The transformative experience of Ngũgĩ wa Thiong’o at the Kamĩrĩĩthũ », Bruno Ribeiro Oliveira explore les relations de Ngũgĩ avec la classe ouvrière du village de Kamĩrĩĩthũ, au Kenya, au milieu des années 1970. Cette expérience a incité Ngũgĩ à donner la priorité à la langue kikuyua et à entamer le projet de décolonisation de l’esprit. Oliveira soutient que Ngũgĩ et la communauté locale ont mené une recherche décoloniale collective qui émancipe les participants et améliore nos épistémologies communes.
Dans « Decolonizing the mind and deconstructing the colonial library : the quest for new normative paradigmatic shifts in postcolonial francophone Africa », Samba Diop analyse les textes Decolonising the Mind (1986) de Ngũgĩ et The Invention of Africa (1988) du Congolais V.Y. Mudimbe. Diop s’interroge : Les Africains doivent-ils utiliser les langues africaines au lieu des langues européennes, ou les deux ? Il soutient que l’Afrique postcoloniale est à la recherche de nouveaux paradigmes pour décoloniser complètement l’académie, et le document vise à apporter des contributions à une architecture critique et analytique interdisciplinaire.
L’article interdisciplinaire « Comment décoloniser la recherche sur la migration africaine ? Quelques idées » fut rédigé conjointement par Roberto Beneduce, Lisa Damon, Paolo Gaibazzi, Johannes Machinya et Katharina Monz. Les auteurs participèrent à un atelier organisé par Point Sud à Bamako, au Mali, en octobre 2019, et ont repensé leur perspective de la migration en provenance et au sein du continent africain. Ils affirment que les chercheurs doivent réévaluer la relation avec les « informateurs », qui devraient plutôt se voir attribuer le statut d’interlocuteurs. Décoloniser signifie donner à l’agence des sources primaires. Les auteurs affirment que les chercheurs doivent entreprendre de diffuser les connaissances produites, en retournant notamment dans les communautés où ces connaissances ont été conçues.
L’article d’Aliya Kuzhabekova « Les chercheurs de retour au Kazakhstan et leur rôle dans l’oppression néocoloniale dans le milieu universitaire » utilise un cadre décolonial pour analyser le rôle des intellectuels autochtones dans la reproduction des structures coloniales dans l’enseignement supérieur du Kazakhstan. Après avoir passé en revue le rôle des intellectuels locaux dans le processus de colonisation épistémique pendant la domination russe, elle s’intéresse aux universitaires qui ont obtenu leur doctorat à l’étranger et qui sont retournés au Kazakhstan pour travailler dans l’enseignement supérieur.
Nils Andersson décrit les éléments uniques de la suprématie européenne et blanche dans son article « À quand la désaliénation du colonisateur ? Il soutient que les peuples et les pays anciennement colonisés ne sont pas les seuls à devoir se reconstruire après l’ère coloniale, et qu’il en va de même pour les Européens et ceux qui ont le « privilège blanc ». La négation du passé et l’inconscience sont dangereuses dans le monde d’aujourd’hui. Sans honnêteté et conscience historique, il ne peut y avoir de décolonisation des universités, conclut Andersson.
Enfin, dans “Bangabandhu, nationalism and internationalism: lessons for our times from a novel post-Bakhtin and post-Badiou dynamic theory of polyphonic mass movements”, Haider A. Khan couvre le Bangladesh post-colonial et en particulier le rôle joué par le premier president du nouvel Etat, Sheikh Mujibur Rahman.
* PS : Puisque la traduction littérale de « wa » dans le nom Ngũgĩ’ wa Thiong’o signifie littéralement « Ngũgĩ, fils de Thiong’o », Ngũgĩ est la façon appropriée de le désigner dans les références suivante